Parlez-en en bien, parlez-en en mal, mais parlez-en : la création des Enhanced Games (qu'on pourrait traduire approximativement par « Jeux améliorés ») risque de faire couler beaucoup d'encre au cours des prochains mois, en marge de l'annonce récente de la tenue de ses premiers Jeux, à Las Vegas, du 23 au 25 mai 2026.
À l'ère des avancées scientifiques dans le sport, les entrepreneurs derrière les Enhanced Games jugent que leur initiative, financée exclusivement par des fonds privés, vise à « faire converger la science et le sport pour redéfinir les limites de l'être humain ».
Ainsi, avec la présence de produits dopants « autorisés, mais encadrés », stéroïdes et hormones de croissance seront à la disposition des athlètes qui y performeront dans les trois disciplines prévues lors de la première édition, soit l'athlétisme, la natation et l'haltérophilie.
« Les substances qui améliorent la performance seront sorties de l'ombre en toute transparence, sécurité et sous surveillance médicale », soulignaient récemment les organisateurs dans un communiqué.
À la clé, et preuve des poches profondes dont disposent les partenaires des Enhanced Games : des bourses alléchantes sont promises aux médaillés, incluant un quart de million pour une première place, et un montant supplémentaire en cas de nouvelle marque mondiale dans les épreuves-reines que constituent le 100 m à la course, et le 50 m style libre en natation.
Peut-être en raison du tollé que l'annonce a soulevé, et des récriminations formulées par l'Agence mondiale antidopage et la Fédération mondiale d'athlétisme, seulement une poignée d'athlètes pour l'instant se sont officiellement engagés dans le projet.
L'un d'eux est le nageur australien James Magnussen, triple médaillé olympique et double champion du monde (en 2011, puis en 2013) du 100 m nage libre, qui s'est récemment entretenu avec notre collègue Raphaël Guillemette.
Comment s'est-il retrouvé à vouloir se mêler à une initiative qui était vouée à causer la commotion à travers l'ensemble des instances du sport amateur?
« J'ai entendu parler des Enhanced Games par l'entremise des médias ici, en Australie. De la façon dont mon engagement dans le projet a pris vie, c'est que j'étais l'invité d'un balado de sport basé à Sydney. En gros, on se demandait si les Enhanced Games pourraient hypothétiquement aller recruter des nageurs des rangs high school et collégiaux, leur permettre d'utiliser des substances améliorant les performances, et que cela mène à des nouvelles marques mondiales », a expliqué à RDS d'emblée Magnussen, qui est âgé de 34 ans.

« J'ai répondu par la négative. J'ai affirmé que j'étais de l'opinion que ça prend des athlètes ayant une génétique précise, un certain parcours d'acquisition d'habiletés, des prédispositions ayant fait d'eux d'excellents nageurs par le passé. La discussion m'a amené à déclarer que pour un million de dollars, je me joindrais aux Enhanced Games. Le lendemain, [l'initiateur du projet, lui aussi australien] Aron (D'Souza) affirmait publiquement que l'offre était acceptée. (...) Je l'avais dit un peu en plaisanterie, mais j'étais prêt à honorer ce que j'avais dit après y avoir réfléchi. »
La compensation étant la plupart du temps largement insuffisante pour les athlètes amateurs vivant leur rêve de performer aux Jeux olympiques, Magnussen admet candidement que l'aspect financier, sans être l'unique motivation, était central à ce qu'il s'engage de la sorte.
« Personne ne veut travailler gratuitement, n'est-ce pas? L'argent est un facteur dans tout type d'emploi. Ce n'était pas l'unique facteur, mais je le vois comme une grande opportunité. Je crois qu'un grand pourcentage d'athlètes, advenant une offre aussi alléchante en termes de rémunération, auraient de la difficulté à refuser », a insisté celui qui se dit « intéressé depuis 3 ou 4 ans à toutes les avancées qui permettent de ralentir le vieillissement et d'améliorer la qualité de vie ».
Une réputation entachée?
Questionné à savoir s'il craignait d'entacher la réputation que lui avait permis de construire sa récolte de médailles olympiques – en 2012 à Londres, et en 2016 à Rio de Janeiro –, Magnussen a répondu par une boutade.
« Me connaissais-tu en tant que médaillé olympique en nage? », a-t-il rétorqué avec le sourire.
« Ce qu'il y a de particulier avec la réputation, c'est que c'est l'idée que les gens se font de vous dans l'opinion publique, sans vous connaître ou vous avoir rencontré. Honnêtement, je ne m'inquiète vraiment pas de ça », a prévenu Magnussen, précisant néanmoins que la vaste majorité de ses interactions avec des gens qui abordent avec lui le sujet des Enhanced Games ont été « très positives ».
« Je suis un athlète de 34 ans qui a arrêté de compétitionner sur la scène mondiale il y a 7 ans. Soudain, on me propose la chance de revivre ça une fois de plus devant une foule, et ça me procure une volonté renouvelée au réveil chaque matin. Je trouve ça très gratifiant. Après tout, tout athlète de haut niveau a ressenti un certain vide dans son identité au moment de se retirer. C'est un sentiment qui est loin d'être exclusif à moi; c'est à peu près tous les sportifs qui vivent ce deuil. »
« L'exploit » de Gkolomeev suscite la controverse
À cet égard, le nageur gréco-bulgare Kristian Gkolomeev est de ceux qui ont fait le choix de ressusciter leur carrière sportive en s'en remettant aux produits dopants. Deux fois participant aux JO, Gkolomeev, 31 ans, a frappé l'imaginaire, que ce soit pour les bonnes ou les mauvaises raisons. C'est qu'il a nagé en février dernier – vidéo à l'appui – un 50 m libre en 20,89 secondes, un chrono plus rapide par deux centièmes que celui du détenteur de la marque mondiale, le Brésilien Cesar Cielo.
🏆 FASTEST SWIMMER IN HISTORY
— Enhanced Games (@enhanced_games) May 21, 2025
🇬🇷🇧🇬 Kristian Gkolomeev breaks:
🏊♂️ 50m Freestyle World Record
⏱️ 20.89 seconds
💰 $1,000,000 Prize
🇧🇷 Breaks Cesar Cielo's 2009 record (20.91) pic.twitter.com/u0p3139TdG
Sans surprise, cet « exploit » célébré et moussé par les organisateurs des Enhanced Games a été accueilli beaucoup moins favorablement par l'ensemble des acteurs gravitant dans la sphère du sport amateur, incluant la compatriote de Magnussen, la championne de 24 ans Ariarne Titmus, reine du 400 m style libre lors des deux derniers JO.
« Je crois avoir une excellente relation avec Ariarne, et je suis un grand supporter de sa carrière. Je crois qu'elle n'a pas le sentiment que ce record mondial est légitime, et elle a le droit. Mais dans les faits, ça reste le chrono le plus rapide de l'histoire sur 50 m! Est-ce que j'appellerais ça un record mondial? Je préfère qu'on dise que c'est le temps le plus rapide jamais enregistré », a-t-il cherché à nuancer.
Premier athlète recruté par les Enhanced Games, Magnussen joue donc en quelque sorte le rôle de porte-parole, un chapeau que l'Australien n'a aucun problème à porter.
« Il y a toujours un risque quand on est le premier [à faire le saut]. Je crois que j'avais bien réfléchi à ce que ça implique avant d'embarquer. Avec un haut niveau de risque vient aussi un haut potentiel de récompense », a-t-il conclu.