MONTRÉAL – Marc-André Thinel.
À la seconde où le nom de son meilleur chum a illuminé l'écran de son téléphone cellulaire, Carl Mallette savait.
Si son vieux complice l'appelait, ce n'était pas pour prendre de ses nouvelles.
« Dès que j'ai répondu, le premier réflexe qu'on a eu ç'a été de partir à rire. »
Car après 30 ans d'amitié, Mallette et Thinel n'ont plus besoin de parler pour se comprendre.
Nouvellement nommé « manager » général des Dragons de Rouen, un club de la Ligue Magnus en France, Thinel avait besoin d'un entraîneur-chef.
Mallette, lui, n'attendait qu'une première opportunité de diriger des pros, quelques mois après avoir été congédié par les Tigres de Victoriaville.
Alors pourquoi pas le faire au sein d'une organisation qui lui est chère et dont il a marqué l'histoire à l'époque où il jouait encore? Avec son ami le plus proche, en plus.
Le match parfait.
Il y a 20 ans, Mallette et Thinel débarquaient à Rouen, décidés à raviver la chimie qui les avait unis en tant que partenaires de trio chez les Tigres entre 1997 et 2001.
L'impact a été immédiat. Respectivement premier et deuxième meilleurs pointeurs du circuit, Mallette et Thinel ont guidé les Dragons vers la conquête du championnat français en 2005.
Après un bref exil en Autriche la saison suivante, Mallette est revenu sur les bords de la Seine, bouclant sa carrière de joueur professionnel chez les Dragons avec quatre autres titres en cinq campagnes, dont les trois derniers en tant que capitaine.

Les chemins des deux amis se sont ensuite séparés. Thinel a poursuivi sa carrière de joueur chez les Dragons jusqu'en 2020, pour ensuite en devenir l'adjoint au directeur général. Mallette est quant à lui rentré au Québec pour y lancer sa carrière d'entraîneur.
Après avoir occupé un poste d'adjoint chez les Tigres pendant trois ans, Mallette a soulevé la Coupe du Président dès sa première saison aux commandes en 2020-2021.
Les cycles du hockey junior étant ce qu'ils sont, la suite a cependant été plus ardue. Au terme du calendrier régulier qui a suivi ce sacre, les Tigres ont été exclus des séries. L'année suivante, la formation des Bois-Francs a été évincée au premier tour.
L'équipe a bien fait une percée jusqu'en demi-finale en 2024, mais un autre retour à la case départ attendait Mallette au lancement de la plus récente saison.
Alors que les Tigres affichaient un rendement de 11 victoires en 38 matchs et ne figuraient pas dans le portrait des séries le 8 janvier dernier, le directeur général Kevin Cloutier et Mallette ont alors convenu que pour le bien de tous, il valait mieux rompre l'union.
« La vérité, c'était que j'étais brûlé raide », confiait récemment Mallette au RDS.ca.
« Kevin Cloutier et moi, on a encore un lien incroyable de confiance et d'amitié. Les Tigres étaient rendus là, et Carl Mallette était rendu là. Je ne suis pas en train de dire que je n'ai pas été congédié. Ce que je suis en train de dire, c'est que j'avais besoin de cette pause-là pour me recentrer. J'avais le goût de vivre un nouveau défi. »
Avec un an de salaire devant lui, Mallette ne voulait toutefois pas précipiter les choses. D'abord, il pouvait pour la première fois assister aux matchs de ses trois fils la fin de semaine, et il comptait en profiter.
Puis, pour satisfaire son besoin « hockey » en parallèle à sa vie de famille, il s'est lancé dans l'encadrement, offrant son expertise comme consultant à de jeunes hockeyeurs de niveau bantam et pee-wee.
« Je voulais toucher à tout, mais je me suis rendu compte trois ou quatre mois après mon congédiement que regarder une game dans les estrades et dire deux ou trois trucs à un joueur après, c'est ben cool, mais ce n'est pas coacher. Mon envie était revenue. »
Mallette a donc rencontré la direction de l'Armada de Blainville-Boisbriand, qui était à la recherche d'un nouvel entraîneur-chef à l'aube d'une saison où elle vise grand. Or, un retour dans les rangs juniors ne cadrait pour l'instant pas avec ses aspirations.
« Je voulais coacher des pros pendant quelques années au moins », explique celui qui nourrissait cette ambition depuis son entrevue l'été dernier avec la direction du Rocket de Laval, qui en définitive, n'a pu passer à côté de la candidature de Pascal Vincent.
« Gagner un autre titre [de la LHJMQ] aurait été cool, mais je voyais que pour ma carrière, ce n'était peut-être pas le meilleur timing pour me relancer dans un autre cycle de trois ou quatre ans. Admettons qu'on échoue, en refaire un autre... La vie va vite, et j'étais plus en mode "je veux gagner" que de repartir à zéro. »
Se dépayser... à la maison
Gagner maintenant et lutter chaque année pour tout rafler, c'est justement ce que lui proposait Thinel. Après une inhabituelle élimination dès le premier tour, les Dragons voyaient en leur ancienne étoile le candidat idéal pour les ramener au sommet.
« Je n'ai jamais hésité une seconde à dire oui, mais je devais juste avoir le OK de ma famille. »
Après une semaine de discussions, sa conjointe Geneviève, qui avait vécu à ses côtés le premier séjour à Rouen, a dit oui. Tout comme ses garçons de 13, 12 et 7 ans.
« Pour les enfants, ce qui est intéressant et là où j'ai réussi à les convaincre, c'est que oui, il y a le hockey, le hockey et le hockey, mais ils vont maintenant avoir la chance de voir de vraies games de soccer devant 80 000 spectateurs au Paris-Saint-Germain. Il y a aussi Roland-Garros, le rugby... On va les dépayser, mais en retournant à la maison. »
« Ce n'est pas le genre d'aventure qu'on serait allés vivre en Slovaquie ou ailleurs, sans vouloir dénigrer ces autres destinations, ajoute-t-il. Rouen, c'est un endroit qu'on connaît par cœur. On s'était toujours dit qu'on y retournerait un jour en vacances en famille. Là, j'ai la chance d'y retourner pour les trois prochaines saisons et y travailler. »
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La maison de Victoriaville maintenant vendue, les Mallette déménageront le 2 août. Ils aménageront dans une résidence située à 100 mètres de celle de Thinel.
Loïc Lampérier, son ailier à sa dernière saison chez les Dragons, figurera aussi au nombre de ses voisins. Le vétéran français de 35 ans est aujourd'hui le capitaine de la formation et l'arrivée prochaine de Mallette a suffi à le convaincre de revenir pour une 17e campagne.
« Il veut en jouer une dernière comme capitaine pour gagner à nouveau », a appris Mallette en soupant avec Lampérier lors de sa visite à Rouen à la fin juin pour l'annonce officielle de son embauche.
« J'ai posé beaucoup de questions [durant mon séjour]. Je sais ce qui a bien été dans le passé et ce qui a moins bien marché l'année dernière. [...] Ce qui est revenu souvent, c'est qu'on a perdu une certaine fierté l'année dernière, ce sentiment d'appartenance de la jouer dur à toutes les games. »
Pour le retrouver, Mallette s'est assuré d'avoir son mot à dire dans le recrutement de nouveaux joueurs, attirant notamment l'attaquant Simon Lafrance et le défenseur Pier-Olivier Roy, deux joueurs qu'il a formés chez les Tigres.
« J'ai toujours adoré Simon. J'aime son côté compétiteur, le fait qu'il est là dans les grands moments. [...] Tu n'es pas obligé de connaître ton meilleur match pour faire la différence quand c'est 2-2 en fin de game. C'est un joueur clutch. »
Quant à Roy, qui vient de compléter son stage dans la LHJMQ chez l'Océanic de Rimouski, il deviendra le premier joueur à faire le saut du junior majeur à Rouen, signale Mallette.
« Normalement, à la qualité des CV que les Dragons reçoivent, c'est souvent des gars qui ont joué dans la Ligue américaine, la East Coast, en Suède ou en Finlande qu'ils recrutent. J'ai parlé de Pier-Olivier Roy à Marc-André dès ma signature. Il a regardé ses matchs, dont ceux à la Coupe Memorial, et on était unanimes. Il peut nous aider dès cette année. »
L'attaquant québécois Julien Tessier, de même que l'avant James Phelan, un autre ancien des Tigres qu'a côtoyé Mallette, ont aussi accepté de se joindre au projet de Mallette.
Celui d'offrir une 19e Coupe Magnus aux Dragons.
« J'aime gagner, j'ai de la misère avec la défaite, rappelle l'entraîneur de 43 ans. Le fait de retourner à Rouen me donne une chance d'avoir une équipe qui aspire à avoir du succès tous les ans. »
Et, avant toute chose, de vivre toute une aventure.
« C'est un six ou sept ans que je me donne jusqu'à mes 50 ans pour triper en famille et faire du hockey. »