ZURICH, Suisse - Le couperet est tombé pour les deux maîtres de la planète soccer : Joseph Blatter, président de la Fifa depuis 1998, et Michel Platini, président de l’UEFA depuis 2007, ont été suspendus huit ans de toute activité liée au soccer en raison du fameux paiement controversé de 1,8 million d’euros qui les lie.
La charge de corruption n’a pas été retenue contre les deux hommes par le tribunal interne de la Fifa, qui les juge coupables en revanche d’« abus de position », de « conflit d’intérêt » et de « gestion déloyale ».
Platini écope par ailleurs d’une amende de 80 000 francs suisses (environ 112 000$) plus élevée que celle de Blatter, 50 000 francs suisses (environ 70 000$).
Les conséquences de ce verdict sont plus lourdes pour Platini, qui voulait se présenter à la présidence de la Fifa le 26 février, que pour Blatter. À 79 ans, ce dernier n’aspirait qu’à présider son instance jusqu’à l’élection, puis passer la main.
Ce jugement va toutefois toucher Blatter dans sa chair, puisque c’est « sa » Fifa, celle qu’il a fait grandir depuis qu’il y est entré en 1975, qui le condamne. Son porte-parole a déjà annoncé qu’il allait faire appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), la juridiction sportive suprême.
Pour Platini, l’onde de choc est dévastatrice. À 60 ans, il était le mieux placé jusqu’ici pour devenir le prochain président de la Fifa. Le long circuit des appels devant la chambre de recours de la Fifa, puis le TAS, ne lui en laissera sans doute pas le temps. Les candidatures doivent être enregistrées le 26 janvier au plus tard.
Comme Blatter a décidé de le faire, Platini pourrait saisir le TAS directement, mais il lui faudrait pour cela l’accord de la Fifa dans les délais impartis par le calendrier électoral, ce qui paraît peu probable.
Ce carton rouge empêchera aussi Platini d’assister à titre officiel à « son » Euro, organisé chez lui en France du 10 juin au 10 juillet.
Un crève-coeur pour celui qui a fait du soccer sa vie, depuis ses années de joueur en culottes courtes à Joeuf (est de la France), en passant par trois Ballons d’Or, un Euro-1984 gagné, les années de gloire à la Juventus, jusqu’à l’administration du foot européen.
Sans illusion
Comment en sont-ils arrivés là? Au coeur de dossier, il y a le versement contesté de 1,8 million d’euros en 2011 par Blatter à Platini, sans contrat écrit, pour un travail de conseiller achevé en 2002. Les deux hommes étaient pour cela déjà suspendus provisoirement jusqu’au 5 janvier, en attendant le jugement sur le fond de lundi.
Platini, qui a toujours clamé sa bonne foi, ne se faisait guère d’illusion. « Je suis déjà jugé, déjà condamné », a-t-il ainsi estimé dans une déclaration lue par ses avocats vendredi à Zurich devant les juges de la commission d’éthique de la Fifa. L’ancien meneur de jeu de l’équipe de France, dénonçant une manoeuvre pour l’empêcher de se présenter à la présidence de la Fifa, avait décidé de boycotter cette audience, laissant son avocat le défendre durant neuf heures.
Raison de son courroux, des déclarations d’Andreas Bantel, porte-parole de la chambre d’instruction de la commission d’éthique, au journal français L’Equipe le 11 décembre: « Platini va sûrement être suspendu plusieurs années, et en ce qui concerne Blatter, il n’y a pas de différence entre une suspension de quelques années ou une suspension à vie ». Bantel a ensuite dit que la publication de cette interview était « non autorisée ».
Platini réfute les accusations d’irrégularité pour le versement, qui correspond selon lui à un reliquat de salaire touché sur la base d’un contrat oral, un type d’engagement accepté en Suisse.
Immense défi pour le futur N1
Blatter, lui, a été entendu durant huit heures jeudi dernier à la Fifa. Outre la justice sportive, il est mis en examen par la justice suisse en raison du versement à Platini et pour un contrat de droits TV jugé anormalement défavorable à la Fifa.
La double décision de lundi sonne comme le point d’orgue d’une année cauchemardesque pour la Fifa, ouverte en mai avec l’arrestation au saut du lit de caciques du soccer mondial dans un palace de Zurich.
Au fil des révélations des deux enquêtes en cours, américaine et suisse, s’est dessiné un tableau très noir des pratiques de l’instance.
Cinq hommes sont candidats à la succession de Blatter, forcé à une démission annoncée le 2 juin, quatre jours après sa réélection, pour être effective le 26 février: le Cheikh bahreini Salman, le Sud-Africain Tokyo Sexwale, le prince jordanien Ali, le Français Jérôme Champagne et le Suisse Gianni Infantino.
Quel qu’il soit, le nouveau patron de la Fifa aura du mal à reconstruire une crédibilité en ruines. Trente-neuf personnes sont déjà mises en cause par la justice américaine, qui juge « inconcevable » le niveau de corruption à la Fifa : selon elle, 200 millions de dollars de pots-de-vin y ont circulé depuis 1991.
Un logiciel spécial a permis de repérer le versement controversé
Un logiciel spécial pour organismes de contrôle financier a été utilisé pour repérer le versement de deux millions de francs suisses (1,8 million d’euros) qui a conduit à la suspension de Joseph Blatter et Michel Platini, a indiqué lundi une source proche de la Fifa.
Le logiciel développé en Suisse utilisé par les enquêteurs, capable d’analyser très rapidement des milliers de comptes, “recherche en particulier les comptes aux titulaires multiples”, a précisé cette source.
Le programme signale les noms de personnes qui figurent sur un compte sans en être le titulaire principal.
Une version similaire est également utilisée par l’autorité allemande des marchés financiers (Bafin).
« Il peut analyser très rapidement des milliers de comptes et signaler toute transaction suspecte », a souligné la source qui a souhaité rester anonyme en raison du caractère sensible de l’affaire Blatter-Platini.
La chambre de jugement du comité d’éthique de la Fifa a suspendu lundi pour huit ans son président Sepp Blatter et son vice-président Michel Platini de toute activité liée au football en raison d’un paiement controversé de 1,8 million d’euros effectué en 2011.
Selon les deux dirigeants, le versement constitue la rémunération d’un travail de conseiller réalisé par le président de l’UEFA auprès de la Fifa entre 1999 et 2002.
Sepp Blatter et Michel Platini avaient expliqué qu’un contrat oral portant sur un million de francs suisses par an avait été conclu, mais que le salaire total n’avait jamais été versé.
- Ils devront payer leur place au stade -Le tribunal du comité d’éthique a indiqué dans son jugement que ce versement n’avait “aucune base juridique” et que les deux responsables s’étaient rendus coupables d’“abus de position” de leurs postes au sein de la Fifa.
C’est grâce à l’enquête du procureur américain Michael Garcia sur l’attribution des Mondiaux 2018 en Russie et 2022 au Qatar que le paiement incriminé a été repéré, a précisé cette source proche de la Fifa.
Le paiement fait l’objet d’une enquête des procureurs suisses, ce qui pourrait retarder la publication du rapport Garcia. La Fifa a indiqué qu’elle ne pouvait pas publier ce dernier dans son intégralité pour des raisons légales.
« La question de savoir si le rapport Garcia sera maintenant publié n’a pas à être finalisée, a ajouté la source. Il faut faire des vérifications avec les procureurs suisses à Berne afin de déterminer si sa publication pourrait interférer avec les preuves dans les affaires en cours ».
Selon cette source, Michel Platini et Sepp Blatter ont dix jours, à compter de l’annonce de la suspension, pour faire appel.
Suspendus de toute activité liée au football dans le monde, les deux hommes ne peuvent plus se rendre au siège des organisations qu’ils dirigeaient il y a encore quelques mois. Ils ne pourront même pas s’asseoir dans la zone VIP des stades de foot pendant l’Euro-2016 en France que Michel Platini a contribué à organiser.
Les deux hommes ont uniquement le droit d’assister à des matchs de football en payant eux-mêmes leurs billets.